Quotas à la radio : Les députés manipulés

Rédigé par Mathieu Quétel le Mercredi 23 Septembre 2015 à 08:20 | modifié le Mercredi 23 Septembre 2015 à [HEURE]



Les quotas à la radio reviennent sur le devant de la scène par la grande porte : celle de l’Assemblée Nationale. Un amendement hallucinant a été adopté, presque en cachette, la semaine dernière, dans le cadre de l’examen du projet de loi « création, patrimoine, architecture » en Commission des Affaires culturelles. Il prévoit de placer sous tutelle des maisons de disques la programmation musicale des radios.


Le dispositif proposé est aussi simple que la question des quotas est aujourd’hui complexe. Il vise à plafonner les rotations des chansons francophones pour leur prise en compte dans les quotas. Ainsi, dans le cas d’un Top 10 concentré sur plus de 50% des diffusions francophones, les titres concernés seraient purement et simplement sortis du calcul des quotas.

Un amendement inspiré par le SNEP

Mathieu Quétel, président de Sountsou © Tristan Paviot
La lecture de son exposé des motifs devrait être enseigné comme étude de cas dans les écoles d’affaires publiques, il reprend mot pour mot le verbatim développé par le SNEP et les majors du disque contre les radios et pour un renforcement des quotas. Des arguments que nous avions déjà pu découvrir il y a quelques mois dans le très orienté, incomplet et partial rapport Bordes, lui aussi largement inspiré du lobbying du disque. Nous l’appellerons donc ici, par son nom, « amendement SNEP ».
Les députés (38 signataires du groupe SRC) nous expliquent que « sur certaines radios, à l’heure actuelle, 10 titres francophones peuvent représenter jusqu’à 75% des diffusions francophones mensuelles » et que « dans ces conditions d’extrême concentration, le média radio ne permet plus aux nouveaux talents chantant en français de rencontrer leur public alors même que les Français plébiscitent les chanteurs francophones. »

Les signataires de cet « amendement SNEP » ont fait le choix de n’écouter que l’industrie du disque et de ne retenir que ses arguments, ils ignorent donc que l’Observatoire de la Musique note dans son rapport 2014 que la production française de nouveautés s’est effondrée de 62,3% en un an. Ce qui signifie que la « source » de nouveaux talents est asséchée par ceux qui crient au loup et dont c’est bien le métier de produire ces jeunes talents français…

Les quotas sont sous le contrôle draconien du CSA

Plus grave, les parlementaires suggèrent dans leur exposé des motifs que le dispositif des quotas de diffusion d’œuvres francophones prévu pour les radios par la loi du 30 septembre 1986 modifiée ne serait pas respecté. Cette assertion est fausse. Même si elles rencontrent de plus en plus de difficultés, face à une production très pauvre, les radios respectent la loi, à quelques rares exceptions près. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui est en charge de veiller au respect de celle-ci par les radios, le rappelle dans son rapport « l’exposition des musiques actuelles par les radios musicales privées – État des lieux et perspectives », rendu public en janvier 2014.
Dans le même rapport, le CSA qui connaît parfaitement le média radiophonique qu’il a pour mission de réguler, dresse un panel de propositions et de « pistes de travail (qui) paraissent, après exploration, devoir être abandonnées ». Le plafonnement des rotations, proposé par l’amendement « SNEP », est visé parmi ces possibilités jugées inadaptées par le CSA qui conclue : « Un plafonnement uniforme des rotations des titres francophones par la voie législative n’est donc pas la réponse pertinente ».

Cette question des quotas donne lieu depuis des années à des batailles de chiffres sans fin entre les majors du disque et les radios. En réalité, le sujet n’est pas simplement une question de chiffre : il s’agit pour l’industrie du disque d’une affaire d’argent et pour les radios d’un enjeu de compétitivité.

Le « payola » une pratique inconnue des députés

« L’amendement SNEP », s’il devait être maintenu, donnerait à l’industrie du disque  un droit de regard sur la programmation des radios, qui lui assurent une visibilité gratuite de son catalogue d’artistes. Le même catalogue qu’elle monnaie par ailleurs au prix fort auprès des plateformes de streaming, parfois contre des parts sociales (via des obligations convertibles par exemple) qui représentent de véritables fortunes qui ne seront pas partagées avec les artistes le moment venu.


Les majors du disque attachent tellement d’importance à ses plateformes qu’elles ont créé des départements qui leurs sont dédiées avec des méthodes qui pourraient intéresser les parlementaires. Le « payola », par exemple, n’est pas le titre d’un nouveau hit, mais le nom d’une pratique qui consiste à verser des sommes aux auteurs de playlists les plus en vue afin qu’ils programment certains artistes plutôt que d’autres. Car, les playlists des sites de streaming représentent aujourd’hui de gros enjeux pour mettre en avant les artistes, les industriels sont donc prêts à payer pour que les titres, avec de forts objectifs commerciaux, soient diffusés en priorité. Normal, la loi n’impose aucun quota aux acteurs du streaming qui évoluent dans un environnement totalement dérégulé…

Les radios souffrent d’un déséquilibre concurrentiel

Si le numérique est un enjeu stratégique pour l’avenir du disque, il l’est également pour les radios françaises. Or, celles-ci souffrent d’un déséquilibre concurrentiel flagrant : les acteurs du net ne subissent aucune régulation, aucun contrôle, certains ne sont même pas soumis à l’impôt en France. Quant aux radios, elles doivent évoluer dans le cadre d’une loi, aujourd’hui dépassée, mise en place il y a plus de 20 ans et qui méconnait ce nouvel environnement concurrentiel.

Envisager, comme le fait « l’amendement SNEP », de réformer le dispositif réglementaire qui encadre le fonctionnement des radios, en renforçant leurs obligations, sans prendre en considération l’évolution de leur marché concurrentiel est une lourde erreur.
Lors des débats de la semaine dernière, Patrick Bloche, député socialiste, président de la commission et rapporteur du projet de loi « création, patrimoine, architecture » ainsi que Franck Riester, député Les Républicains, ont rappelé que les radios n’avaient même pas été auditionnées. Peut-on sérieusement voter de telles mesures en s’exonérant d’entendre celles qui sont les premières concernées ?

Si cet « amendement SNEP » devait être maintenu après le passage en débat public à l’Assemblée, prévu à partir du 28 septembre, il s’agirait d’un rude coup porté à la liberté de programmation des radios ainsi qu’à leur économie.
Le projet de loi de Madame Pellerin n’en est qu’au début de son parcours législatif. Les parlementaires et le gouvernement vont avoir de multiples occasions de réparer cette erreur en supprimant cet « amendement SNEP », résultat d’une manipulation douteuse. Ils seraient bien avisés de le faire et d’engager plutôt une étude sérieuse et approfondie du paysage radiophonique en 2015 en dressant des perspectives d’évolution pour les dix années à venir.

Mathieu Quétel, président de Sountsou

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